Création d'un tribunal de l'application des peines
Sur proposition de Madame Laurette Onkelinx, Ministre de la Justice, le Conseil des Ministres a approuvé l'avant-projet de loi portant création d'un Tribunal de l'application des peines ainsi que l'avant-projet de loi relatif au statut juridique externe des détenus.
Sur proposition de Madame Laurette Onkelinx, Ministre de la Justice, le Conseil des Ministres a approuvé l'avant-projet de loi portant création d'un Tribunal de l'application des peines ainsi que l'avant-projet de loi relatif au statut juridique externe des détenus.
Ces deux avant-projets de loi sont intimement liés : créer une instance judiciaire appelée à statuer sur des modalités d'exécutions de la peine sans pour autant que ces dernières n'aient de base légale stricte a en effet peu de sens. L'exécution de la peine privative de liberté : un déficit législatif Actuellement, à l'exception de la libération conditionnelle, les modalités d'exécution d'une peine privative de liberté ou de libération temporaire sont régies par des circulaires ministérielles et non par une loi. Cette situation pose problème, en termes de transparence et de sécurité juridique. En effet, les circulaires ministérielles sont extrêmement nombreuses et ne forment pas un ensemble logique et cohérent. Il est donc extrêmement difficile, tant pour les détenus que pour le pouvoir décisionnel, d'avoir une vision claire et globale des règles en vigueur. Le détenu ne sait pas comment la peine à laquelle il a été condamné sera exécutée, quels sont les droits qui lui sont reconnus et à quelles conditions il pourrait bénéficier d'une mesure de libération temporaire (permission de sortie, congé pénitentiaire) ou d'une modalité particulière d'exécution de la peine (détention limitée, surveillance électronique, libération provisoire). Par ailleurs, la répartition des compétences entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir exécutif devait être clarifiée. Une nouvelle répartition des compétences en matière d'exécution des peines La création du Tribunal d'application des peines entraînera une nouvelle répartition des compétences entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire, dans le souci de respecter le principe de séparation des pouvoirs. Le fil conducteur de cette nouvelle répartition est le suivant : les décisions qui sont de nature à modifier de manière substantielle la nature de la peine relèvent de la compétence du pouvoir judiciaire. Cette nouvelle répartition permettra, en outre, de disposer d'un système efficace, susceptible de rencontrer les situations d'urgence qui se présentent en pratique. 1. Quelles seront les compétences du Ministre de la Justice ? A quelques rares exceptions près, les décisions en matière d'exécution de la peine privative de liberté sont à l'heure actuelle concentrées entre les mains du Ministre de la Justice. Il est proposé de laisser entre ses mains le pouvoir de décision pour les mesures suivantes : - la permission de sortie, c'est à dire l'autorisation pour le détenu de s'absenter de la prison pour une journée au plus, de manière périodique (afin de préparer le retour à la liberté) ou occasionnelle (pour obligations familiales, juridiques, médicales, etc.) - le congé pénitentiaire, à savoir la possibilité pour le détenu de s'absenter de la prison avec une nuitée à l'extérieur (maximum 3 jours par trimestre). - l'interruption de l'exécution de la peine, qui peut être octroyée pour une période renouvelable de 3 mois maximum, lorsque le détenu est confronté à des événements familiaux graves et exceptionnels qui nécessitent sa présence à l'extérieur de la prison. - la libération provisoire en vue de régler le problème de surpopulation carcérale, une soupape confiée au Ministre de la justice afin qu'il puisse faire face à une situation grave de surpopulation. Le Ministre statuera sur base de la demande introduite par le condamné et du dossier constitué par le directeur. Il devra communiquer sa décisions dans les 14 jours de la réception du dossier. 2. Quelles seront les compétences du Tribunal de l'application des peines ? Le Tribunal de l'application des peines sera dorénavant seul compétent pour statuer sur les demandes suivantes : - la détention limitée, une modalité unique qui rassemble les mesures actuelles de semi-liberté et semi-détention : le condamné est autorisé à quitter systématiquement l'établissement pénitentiaire pour des périodes prédéterminées de 12 heures maximum (préparation à la libération conditionnelle ou pour cause professionnelle, de formation ou familiale). - la surveillance électronique, c'est-à-dire l'assignation à résidence sous surveillance électronique : le condamné n'est pas incarcéré mais sa liberté d'aller et venir est surveillée sur la base d'un emploi du temps préétabli. - la libération conditionnelle : la compétence des actuelles Commissions de libération conditionnelle sera donc transférée aux Tribunaux de l'application des peines. - la libération provisoire en vue d'éloignement, à savoir libérer un condamné étranger qui fait l'objet d'une décision d'extradition, d'expulsion ou de renvoi en vue de son éloignement du territoire. Les compétences particulières du juge de l'application des peines - Le pouvoir de modifier la peine Le juge de l'application des peines pourra transformer une peine d'emprisonnement de moins d'un an en une peine de travail lorsque la situation du condamné a sensiblement évolué depuis le prononcé de la peine. - La libération provisoire pour raisons médicales Le juge de l'application des peines pourra ordonner la libération provisoire en cas de phase terminale d'une maladie incurable ou dans le cas où l'état de santé du détenu est incompatible avec la détention. - L'appel des décisions du Ministre de la Justice Les décisions prises par le Ministre de la Justice dans le cadre des pouvoirs qui lui sont conférés pourront faire l'objet d'un appel devant le Tribunal de l'application des peines afin que celui-ci exerce un contrôle sur la légalité de la décision. Le Tribunal de l'application des peines, une juridiction multidisciplinaire Le projet prévoit la création d'une nouvelle section au sein du Tribunal de 1ère Instance : le Tribunal de l'application des peines. Il est prévu de créer 6 tribunaux de l'application des peines, soit un par ressort de Cour d'Appel sauf à Bruxelles, où il y en aura 2 (une chambre francophone et une chambre néerlandophone). Le Tribunal pourra tenir ses audiences à la prison ou au siège du tribunal ou à n'importe quel Tribunal de première instance du ressort de la Cour. Ce tribunal prendra la forme d'une juridiction multidisciplinaire : - il sera présidé par un magistrat professionnel, le juge de l'application des peines, qui devra avoir une expérience professionnelle utile dans la magistrature d'au moins 10 ans dont 3 années comme juge ou juge de complément au tribunal de 1ère instance, - dans le cadre de dossiers relatifs à des peines privatives de liberté de plus de 3 ans, ce magistrat sera entouré de deux assesseurs en application des peines : l'un spécialisé en réinsertion sociale, l'autre en matière pénale et pénitentiaire. Les assesseurs devront avoir minimum 30 ans et se prévaloir d'une expérience professionnelle utile de 5 ans dans le secteur concerné. - le Tribunal de l'application des peines sera doté d'un ministère public spécialisé, qui sera chargé du contrôle des décisions du Tribunal. Ce substitut devra pouvoir justifier d'une certaine expérience : il devra avoir 10 ans d'ancienneté dans la magistrature, dont 3 années comme magistrat du parquet du procureur du Roi. Les magistrats et assesseurs seront désignés pour un mandat de 4 ans, renouvelable une fois. Une évaluation interviendra après une année, et ensuite après 3 ans, sur le modèle de l'évaluation des assesseurs des commissions de libération conditionnelle. Le recours des décisions rendues par le Tribunal de l'application des peines A l'instar de ce qui est actuellement prévu pour les décisions des Commissions de libération conditionnelle, les décisions rendues par le Tribunal de l'application des peines en premier pourront faire l'objet d'un pourvoi en cassation (une assistance judiciaire est possible). La Cour de cassation devra se prononcer dans les 30 jours. Le suivi de l'exécution des peines C'est le Tribunal de l'application des peines qui assurera le suivi de l'exécution des peines. Pour ce faire, il se basera sur les rapports des assistants de justice qui, au sein des Maisons de Justice, exercent la tutelle sociale des condamnés. C'est, en revanche, le Ministère public qui sera chargé du contrôle des mesures et qui pourra dès lors saisir le Tribunal, si besoin en est, d'une demande de révision, de suspension ou de révocation de la mesure. Quelle procédure devant le Tribunal d'application des peines ? Pour la libération conditionnelle et la libération en vue d'éloignement L'initiative appartient au directeur de la prison, qui doit constituer le dossier et rendre un avis motivé dans un délai de 4 à 2 mois avant la date d'admissibilité à la mesure proposée. L'avis du directeur et le dossier sont transmis au ministère public pour avis. Le dossier est alors soumis au juge ou au tribunal de l'application des peines, qui statuera à l'issue d'une procédure contradictoire. Seront notamment entendus : le directeur, le condamné et son avocat, ainsi que la victime. Pour la surveillance électronique et la détention limitée L'initiative appartient au condamné, qui doit introduire une demande au greffe de la prison ou du tribunal de l'application des peines. S'il est détenu, le directeur doit rendre un avis. S'il ne l'est pas, le parquet - ou le tribunal - pourra solliciter une enquête sociale. Le dossier est alors soumis au juge ou au tribunal de l'application des peines, qui statuera à l'issue d'une procédure contradictoire. Seront notamment entendus : le directeur (en cas de détention), le condamné et son avocat, ainsi que la victime La mesure peut être soumise à révision, à révocation ou suspension La mesure octroyée par le Tribunal de l'application des peines pourra être soumise à révision ou à révocation ou suspension, lorsque : - le condamné a commis un crime ou un délit pendant le délai d'épreuve, - le condamné met sérieusement en péril l'intégrité physique de tiers, - les conditions particulières imposées par le Tribunal n'ont pas été respectées, - le condamné ne donne pas suite aux convocations de l'assistant de justice, du Tribunal de l'application des peines ou du ministère public, - le condamné ne signale pas son changement d'adresse. Le ministère public peut alors saisir le Tribunal par voie de citation. Dans ce cas, le Tribunal pourra revoir les conditions ou, si cela s'avère nécessaire, révoquer la mesure. Dans les cas qui peuvent donner lieu à révocation, le Tribunal de l'application des peines pourra privilégier une suspension de la mesure accordée. La suspension sera ordonnée pour un délai d'un mois, renouvelable une fois. Endéans ce délai, le Tribunal pourra décider de revoir les conditions particulières qui entourent la mesure ou de révoquer la mesure. En cas de péril grave pour l'intégrité physique de tiers, le Ministère public peut par ailleurs ordonner l'arrestation provisoire du condamné. Le Tribunal de l'application des peines doit alors statuer dans les 7 jours sur la nécessité de suspendre ou non la mesure qu'il avait accordée. Etendre les droits de la victime A l'heure actuelle, la victime n'a reçu une reconnaissance légale que dans le cadre de la libération conditionnelle : la victime peut demander à être entendue concernant les conditions qu'il convient d'imposer dans son intérêt. A la demande de la victime, la Commission l'informe de l'octroi de la libération conditionnelle et des conditions qui garantissent ses intérêts. L'avant-projet propose d'étendre les droits des victimes à différents niveaux : - en matière de libération conditionnelle Il ne sera plus fait de distinction selon la nature des faits pour lesquels l'auteur de l'infraction a été condamné (c'est actuellement le cas en vertu de l'arrêté royal du 10 février 1999 portant des mesures d'exécution relatives à la libération conditionnelle), - pour les autres cas de saisine du Tribunal de l'application des peines, les victimes pourront demander à être entendues ou informées, - en cas d'octroi d'un premier congé pénitentiaire, une information sera fournie aux victimes qui le souhaitent. Les victimes seront informées des droits qui leur sont octroyés dans le processus d'exécution de la peine. Si les victimes (ou leur avocat) sont entendues sur les conditions qu'elles estiment qu'il serait opportun de fixer dans leur intérêt, elles ne sont toutefois pas partie au débat sur l'octroi d'une modalité particulière d'exécution de la peine. L'information qui leur sera fournie mentionnera la mesure accordée et, le cas échéant, les conditions imposées dans leur intérêt. Les victimes qui ont demandé à être informées se verront également communiquer la révocation d'une mesure décidée par le Tribunal.