Avis n° 80 du 13 décembre 2021 concernant la vaccination obligatoire en période de pandémie
Sur demande du Ministre fédéral des Affaires sociales et de la Santé publique, Franck Vandenbroucke, le Comité consultatif de Bioéthique s’est attelé à clarifier les enjeux éthiques liés à la mise en place potentielle d’une vaccination obligatoire à l’échelle de la population adulte dans le cadre de la pandémie causée par le SARS-CoV-2. Dans son avis n°80, il revisite ses considérations développées dans des avis précédents et les actualise.
Dans son avis, le Comité souligne que plus de ¾ de la population belge est aujourd’hui vaccinée (sur une base volontaire), ce qui montre tout à la fois la confiance dans l’outil de santé publique qu’est la vaccination et l’attention importante que portent les citoyens à leur sécurité comme à celles des autres. Il note que la période actuelle est marquée par de nombreuses incertitudes, notamment scientifiques, et que nous sommes sans doute à un moment clé dans l’évolution de l’épidémie, où nous comprenons que nous allons devoir « vivre avec le virus » et que la vaccination, en tant que telle, doit être intégrée dans une stratégie plus globale visant à réduire les risques, tout en nous permettant de vivre une vie aussi pleine que possible.
Le Comité observe la polarisation croissante de la société avec préoccupation et il souhaite apporter de la clarté dans les débats autour de la vaccination obligatoire, en identifiant à la, fois les faits pertinents et les valeurs en concurrence.
A l’issue d’un développement d’une vingtaine de pages, le Comité conclut sur les points suivants :
Recourir à la vaccination obligatoire dans le cadre de la pandémie actuelle est acceptable au plan éthique si et seulement si (conditions cumulatives)
a) cela est nécessaire pour mettre en place une stratégie globale de réduction des risques permettant de protéger la société comme les personnes ;
b) les incertitudes scientifiques présentes actuellement sont levées ;
c) certaines conditions transversales d’équité, de transparence et de légalité sont rencontrées.
Une stratégie globale de réduction des risques à court, moyen et long terme :
Le Comité observe que l’immunité collective n’est peut-être pas atteignable (de plus en plus de scientifiques en doutent) mais qu’il peut être nécessaire, dans l’hypothèse où nous devons « vivre avec le virus » d’une façon sécurisée et soutenable dans le temps, de mettre en place une stratégie qui permette de réduire:
les risques d’hospitalisation et de décès, y compris pour les personnes qui sont en attente de soins pour des pathologies autres que la COVID-19 ;
le risque pour les équipes soignantes, de devoir faire face à des dilemmes éthiques relatifs à la priorisation des soins (ou triage);
les risques associés à la très grande difficulté que rencontre la médecine de première ligne (médecins généralistes, maisons médicales, maisons de retraite et de soins …) pour continuer à fournir des soins de qualité dans un climat de surcharge et d’épuisement généralisés ;
les risques associés à une circulation rapide et intense du virus, notamment l’émergence possible de nouveaux variants.
Il est acceptable, pour ce faire, de faire prévaloir la solidarité sur la liberté individuelle, qui sont toutes deux des valeurs fondamentales de notre société.
Le Comité souligne qu’il n’est pas favorable à ce que la vaccination obligatoire ne concerne que les personnes fragiles, pour des raisons de solidarité: la protection des plus fragiles doit en effet reposer sur une solidarité collective, elle-même associée à la responsabilité partagée de lutter contre le virus. Si le schéma vaccinal devait évoluer vers une vaccination à destination des seuls publics à risque (fragiles), le Comité recommande que cette vaccination reste volontaire (comme l’est celle de la grippe).
Avant toute mise en œuvre de la vaccination obligatoire, il faut lever les incertitudes scientifiques actuellement trop importantes :
Outre que la vaccination obligatoire ne peut être mise en œuvre en urgence (et ne sera donc pas utile pour répondre à la vague qui frappe actuellement la Belgique, le Comité pointe les incertitudes sur les sujets suivants :
la protection que confèrent les vaccins existants contre le(s) variant(s) en cours de circulation (actuellement Delta, bientôt Omicron) ;
le schéma vaccinal à définir en tenant compte de la durée de la protection conférée par la vaccination ;
la définition des groupes cibles : toute la population versus les « groupes à risque » ;
la façon dont cette stratégie vaccinale s’articule avec les autres mesures de santé publique, à la fois sur le plan préventif et curatif (si les options thérapeutiques deviennent plus nombreuses et largement disponibles dans le cadre du soin.
Sur la base des incertitudes relatives à la durée de protection contre la transmission, le Comité demande aussi à ce que soit réévalué l’usage actuel du Covid Safe Ticket, qui peut donner une impression de fausse sécurité aux personnes vaccinées dont la vaccination remonte à plusieurs mois.
Certaines conditions transversales d’équité, de transparence et de légalité doivent être rencontrées.
La vaccination obligatoire ne peut être mise en œuvre que de façon transparente et loyale dans une loi (soumise au préalable au débat parlementaire) qui définira , outre les objectifs et moyens du recours à la vaccination obligatoire:
des sanctions proportionnées et équitables : Le Comité souligne l’importance de définir un régime de sanction qui ne permette pas qu’une proportion limitée de la population puisse s’offrir un « droit de ne pas se faire vacciner » qui ne serait pas accessible à d’autres.
Il estime en outre que seraient inacceptables au plan éthique :
toute contrainte physique visant à soumettre de force un individu à la vaccination
toute décision ou action visant à empêcher ou restreindre l’accès d’une personne non vaccinée à des soins adéquats et de qualité, qu’ils soient urgents ou non, sur la base de son seul statut vaccinal.
le régime d’indemnisation qui prévaudra en cas de dommage causé par la vaccination obligatoires.
dans quelles circonstances la preuve de son obtention peut-elle être demandée et qui peut légitimement procéder à la vérification de son obtention.
Les citoyens devront en outre être informés de façon claire et adaptée afin que le recours à la vaccination obligatoire, s’il était décidé, puisse avoir lieu dans un climat de confiance à l’égard de vaccination contre la COVID-19 mais aussi vis-à-vis de la politique générale de vaccination.
`A propos du Comité Consultatif de Bioéthique
Site : https://www.health.belgium.be/fr/comite-consultatif-de-bioethique-de-belgique
Instance indépendante, le Comité a été fondé en 1993 par un accord de coopération entre le fédéral et les entités fédérées. Il est composé de 43 membres et 35 membres suppléants, issus de toutes les tendances politiques et philosophiques, selon un principe de représentation équilibrée. Il comprend un nombre égal de francophones et de néerlandophones. Il est l’instance consultative officielle belge en matière bioéthique.
Personnes de contact :
-Virginie Pirard, co-présidente (FR) de la commission « vaccination » au sein du CCB : virginie.pirard@ulb.be
-Zeger Debyser, co-président (Nl) de la commission “vaccination” au sein du CCB : zeger.debyser@kuleuven.be
-Jan de Lepeleire, Président du CCB (Nl) : jan.delepeleire@kuleuven.be