CCE : un examen de l’œil à utiliser de façon plus judicieuse
En Belgique, le comptage des cellules de l’endothélium de la cornée (CCE) est un examen très fréquemment réalisé avant une opération de la cataracte. Face au constat que son utilisation et les coûts qui y sont associés sont en augmentation depuis quelques années, l’assurance maladie (INAMI) a chargé le Centre Fédéral d’Expertise des soins de Santé (KCE) de se pencher sur la question. Au terme d’une analyse de la situation en Belgique et dans un échantillon d’autres pays et d’une évaluation du bénéfice clinique et du rapport coût-efficacité du CCE, le KCE constate que l’approche belge se distingue nettement de celle qui prévaut dans les pays voisins, et ne semble étayée ni par la littérature scientifique, ni par les recommandations internationales.
La cataracte est une pathologie extrêmement fréquente provoquée par l’opacification progressive du cristallin, la lentille naturelle de l’œil. En l’absence de traitement, le patient voit sa vision se brouiller de plus en plus jusqu’à la cécité complète… mais il est heureusement rare d’en arriver là, car la cataracte peut être efficacement traitée par chirurgie. Cette opération est réalisée chez environ 150.000 personnes chaque année dans notre pays et, grâce à l’excellence des techniques actuelles, les complications qui y sont associées sont rarissimes.
Une complication rare, mais sérieuse
Rarissimes, mais pas inexistantes. Pour atteindre le cristallin à opérer, il faut en effet traverser l’enveloppe extérieure de l’œil (la cornée), qui va inévitablement être légèrement endommagée au passage. Chez la majorité des patients, cela n’entraîne aucun effet perceptible. Dans un tout petit groupe (comprenez, une proportion bien inférieure à 1 % des personnes opérées), cette atteinte peut toutefois déboucher sur un œdème (gonflement) de la cornée, qui s’accompagne de troubles de la vision et peut nécessiter la réalisation d’une greffe de cornée. Il s’agit d’une complication sérieuse, à laquelle il faut être particulièrement attentif chez les personnes dont la cornée est déjà malade ou endommagée avant l’opération.
Le comptage des cellules de l’endothélium de la cornée (comptage des cellules endothéliales ou CCE), réalisé au moyen d’un microscope spécial (microscope spéculaire), donne certaines indications sur l’état de la cornée avant l’opération.
Fréquent chez nous, pas du tout chez nos voisins
L’équipe du KCE observe toutefois que cet examen préopératoire est extrêmement fréquent en Belgique, où 68 % des personnes opérées de la cataracte en ont bénéficié au cours de la période 2011-2021… alors que ce n’est pas du tout le cas dans les autres pays étudiés (10-20 % des opérations en France, moins de 10 % aux Pays-Bas).
Trois des quatre guides de pratique clinique identifiés par l’équipe de recherche au niveau international ne mentionnent même pas le CCE dans ce contexte, le dernier ne le recommande qu’en présence d’un problème de cornée déjà connu. Les experts étrangers interrogés estiment également qu’il n’y a pas de réel bénéfice à le réaliser en routine en l’absence d’une atteinte préexistante de la cornée, car les informations qu’il fournit ne changeront rien aux procédures utilisées. Les personnes qui présentent déjà une maladie cornéenne présentent toutefois un risque accru de complications cornéennes après chirurgie de la cataracte.
En outre, l’analyse de la littérature scientifique disponible et des chiffres belges donne à penser que la réalisation (ou non) de cet examen n’influence pas les résultats de l’opération ou la survenue de complications.
Les ophtalmologues belges justifient leur recours très courant à cet examen par une volonté de renforcer le dépistage des maladies de la cornée, d’informer le patient le mieux possible et éventuellement de personnaliser l’approche chirurgicale. Néanmoins, il ressort de l’étude du KCE qu’une utilisation aussi large n’est pas soutenue par des preuves scientifiques. En outre, si le CCE ne comporte heureusement aucun risque, il est indéniable que son utilisation est associée à des dépenses non négligeables – et croissantes – pour l’assurance maladie et pour le patient.
Repenser le remboursement
En conséquence, le KCE recommande à l’INAMI d’envisager de modifier les modalités de remboursement du CCE. Une possibilité pourrait être de le réserver aux patients présentant des facteurs de risque démontrés (maladie ou fragilité préexistante de la cornée). Une autre piste serait de fixer un remboursement forfaitaire pour la chirurgie de la cataracte, où serait inclus un petit montant supplémentaire permettant de couvrir le CCE chez un certain pourcentage de patients mais pas chez tous, à charge de l’ophtalmologue de sélectionner ceux qui en retireront un réel bénéfice. Les experts du KCE soulignent au passage qu’il est important de veiller à ce que les tests réalisés hors indications ne soient pas facturés aux patients, et de bien informer ceux-ci des modalités du remboursement.
Les chercheurs du KCE encouragent aussi les acteurs du secteur (médecins, sociétés scientifiques, universités…) à mettre sur pied de nouvelles reherches pour clarifier les rôles potentiels du CCE, et à développer des recommandations cliniques et un enseignement basés sur des preuves pour standardiser davantage l’utilisation de cet examen.