Discours du Ministre Louis Michel devant la presse belge le 19 janvier 2004
DISCOURS DE M. LOUIS MICHEL, VICE-PREMIER MINISTRE ET MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES À L'OCCASION DU DÉJEUNER DE LA PRESSE AU PALAIS D'EGMONT,
LE 19 JANVIER 2004.
DISCOURS DE M. LOUIS MICHEL, VICE-PREMIER MINISTRE ET MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES À L'OCCASION DU DÉJEUNER DE LA PRESSE AU PALAIS D'EGMONT, LE 19 JANVIER 2004.
Mesdames et Messieurs, C'est toujours un plaisir pour moi de vous accueillir ici, au Palais d'Egmont, en début d'année. Je voudrais profiter de cette occasion pour jeter un regard rétrospectif sur l'année écoulée et un regard prospectif sur cette année nouvelle. Je souhaite également dire quelques mots sur la diplomatie, et comment on - ou plutôt comment je m'y prends dans ce domaine. Je conclurai par quelques considérations portant sur les relations entre la Politique et la Presse - toutes deux avec un grand P -, relations qui, vous et moi le savons fort bien, sont toujours passionnantes. Tout d'abord, quelques mots sur la diplomatie et sur la manière dont nous la pratiquons. La diplomatie consiste à acquérir de l'influence et à en user. Mais il en va de l'influence comme du pouvoir : ça ne tombe pas du ciel, ça se conquiert. La façon de procéder peut être décisive et je suis convaincu, en l'occurrence, que pour compter, il faut pouvoir, avec persuasion, véhiculer une vision assertive et bien articulée. Je sais que ceci heurte parfois les usages diplomatiques classiques, la culture diplomatique dominante, mais peu m'importe. J'estime en effet que toute personne qui veut exercer un rôle responsable au niveau des relations internationales doit parfois oser s'écarter des sentiers battus. Certes, à ses propres risques mais peut-être alors avec le sentiment d'avoir fait avancer les choses ou comme je le soulignais à travers l'adage que j'ai repris sur mes cartes de voeux cette année : dare to dream, dare to try, dare to loose, dare to succeed. Cette méthode, je l'ai souvent mise en oeuvre, et je n'en ai pas honte. Je pense à ma politique africaine car, si j'ai fait la différence dans des pays comme le Congo, le Burundi et le Rwanda, ce n'est pas en me rendant gentiment d'une conférence de paix à l'autre, pour y lire chaque fois mon intervention préparée. Non, c'est parce que je suis parvenu à construire une relation de confiance avec les différents acteurs, en leur apportant la preuve - par mes paroles et par mes actes - de mon engagement personnel : un coup de téléphone nocturne à Kabila, une visite dans la brousse à Bemba, un dîner en tête-à-tête avec Buyoya et même un mini-clash avec Kagame. Cela fait partie du jeu. Je pense également au travail de la Convention où j'ai parfois, en tout cas selon les normes en vigueur, adopté des positions peu conventionnelles. Les "insiders" savent, par exemple, que j'ai mis hors jeu cette obsession de vouloir distinguer grands et petits États membres, que je considère stupide ou, à tout le moins, relativement non pertinente. De même, ils savent que j'ai toujours plaidé pour que l'on pose un regard plus relax, plus objectif, sur les travaux de la Convention. Ma seule préoccupation tournait autour d'une seule question : quels sont à présent les enjeux réels pour un pays comme la Belgique ? C'est en ces termes que j'ai abordé les propositions relatives à la composition de la Commission, ou concernant les décisions à prendre à la majorité qualifiée en matière de PESC (Politique étrangère et de sécurité commune). Enfin, un troisième exemple de ce que certains appellent parfois mon style iconoclaste : l'Irak. Il y a un an, j'ai dit ici, déjà devant vous, que la question irakienne ne pouvait être réduite à une dichotomie simpliste : « pour ou contre la guerre ». Dès le début, j'ai affirmé qu'il y avait un problème de légitimité de l'action militaire projetée. La valse-hésitation dans les justifications avancées par Washington en était d'ailleurs un signe : une fois, il fallait mettre Saddam Hussein hors-circuit, une autre fois, on parlait de démocratiser toute la région du Moyen-Orient et, en fin de compte, il s'agissait d'armes de destruction massive. Bon, je ne veux pas m'étendre une fois de plus sur la longue saga de l'Irak ni encore moins poser la question, somme toute futile, de savoir qui avait raison ou tort. Je veux uniquement dire - et cela ne vous aura pas échappé - qu'oser poser les véritables questions dans un contexte de pression, voire d'intimidation diplomatique, peut se révéler être, in fine, payant. Aujourd'hui, le point de vue belge est considéré par beaucoup comme honorable. La Belgique a montré qu'elle ne pratiquait pas le suivisme, ce qui a été apprécié par une large frange de la Communauté internationale. Je clos ici ces quelques considérations introductives en paraphrasant le « agere aude » kantien : oser agir de manière active, oser poser les vraies questions, oser prendre des risques. Oser s'éloigner des positions dogmatiques initiales et, en voguant à contre-courant, renouveler, sur une base plus authentique, l'entreprise diplomatique. C'est dans cet état d'esprit que je souhaite à présent parcourir avec vous quelques-uns des grands thèmes de l'agenda européen et international. * * * 2003 fut une année difficile pour l'Europe. La Belgique s'est investie à fond, aussi bien au sein de la Convention que lors de la Conférence Intergouvernementale. Malgré cela, le Sommet de Bruxelles de la mi-décembre n'aura pas vu se concrétiser un accord sur le projet de Constitution qui aurait donné un nouveau fondement à l'Union européenne. Cet échec ne peut cependant pas nous jeter dans les affres du défaitisme. Je pense au contraire que nous devons relever le défi, non pas en entamant immédiatement un nouveau round de négociations qui, vu le contexte actuel, ne pourrait livrer qu'un résultat pour le moins incertain, mais bien en prenant le temps d'une courte réflexion, et en nous posant cette question préliminaire : quel est, quelles sont les causes profondes de cet échec ? Y a-t-il encore, chez chacun, la volonté politique d'aller de l'avant dans une Europe à 25 ? Et si ce n'est pas une question de volonté politique, manque-t-il alors un support institutionnel qui pourrait continuer à propulser cette Europe à 25 sur la voie de l'intégration ? Quoi qu'il en soit, une réflexion politique de fond sur l'avenir de l'Europe s'impose. Une réflexion qui porterait non seulement sur le type d'Europe que nous désirons pour l'avenir mais également sur la méthode employée dans la construction européenne. On a l'impression, et c'est aussi la mienne, que l'Europe est devenue trop procédurière et trop bureaucratique, et que nous nous cachons derrière des débats architecturo-institutionnels pour ne pas devoir affronter les véritables questions politiques. L'échec du Conseil européen de Bruxelles ne signifie cependant pas que l'Europe est mise au pied du mur. L'élargissement de l'Union, qui est en tout premier lieu une réponse politique à la nécessité d'une Europe unifiée et stable, aura bien lieu le 1er mai prochain. L'Europe deviendra alors, avec ses 45O millions d'habitants, un élément de géo-politique incontournable. Par ailleurs, il importe que nous nous tenions à nos engagements à l'égard de la Bulgarie et de la Roumanie ainsi que de la Turquie. Une telle Union élargie se doit de définir une nouvelle politique de voisinage ; c'est ce qu'on appelle la politique de la « Wider Europe ». Il s'agit là d'un développement important qui doit permettre à l'Europe de se projeter en tant que partenaire à part entière sur la scène internationale. Comme certains d'entre vous le savent, j'ai demandé qu'une attention particulière soit portée dans ce débat au Caucase, d'une part et à la région méditerranéenne, d'autre part. Dans le Caucase, nous sommes confrontés à un certain nombre de conflits dits « gelés », à commencer par celui du Nagorni-Karabach, qu'il faut dégeler. Cette région deviendra, suite à l'adhésion de la Turquie, la zone frontière de l'Union avec la Russie et revêtira donc un intérêt géostratégique tout particulier, déjà évident en tant que zone de transit du gaz et du pétrole. Dans le cadre de sa présidence de l'OSCE, la Belgique compte s'investir davantage dans cette région, en se basant sur la vision tridimensionnelle de cette organisation : politique et sécurité, Droits de l'Homme et Etat de droit, économie et écologie. Pour ce qui est du Maghreb, la Belgique veut profiter des excellentes relations qu'elle a su créer, entre autres avec le Maroc et la Tunisie pour permettre à ce flanc sud de l'Europe de s'arrimer harmonieusement à l'Union. * * * Concernant les relations transatlantiques, je souhaite, en quelques mots, mettre fin à tout malentendu : pour moi, ces relations constituent une donnée stratégique de premier ordre. Cela ne souffre aucune discussion. Je considère cependant qu'elles doivent être réorientées, comme les « turbulences » de l'année passée nous en ont fait prendre conscience. Les deux piliers traditionnels du partenariat ont disparu : la menace soviétique n'existe plus et la stabilité interne du continent européen est maintenant garantie par l'Union européenne. On ne manque cependant pas de nouveaux défis, comme les armes de destruction massive, les « failed States », le terrorisme, l'expansion de la démocratie et de l'Etat de droit, la lutte contre la pauvreté qui sépare le Nord du Sud. Ce sont autant de problématiques qui ne peuvent trouver de dénouement heureux sans le partenariat Etats-Unis - Union européenne. Que ceci soit clair : ce que nous faisons ensemble, nous le faisons mieux. Cette réorientation doit se baser, selon moi, sur 2 principes : primo, celui de l'équivalence des partenaires transatlantiques et, secundo, celui de la prévisibilité de leurs politiques. Pour construire une relation adulte et donc durable, il importe que Washington reconnaisse la nouvelle Europe comme un partenaire à part entière. Je suis intimement convaincu que Washington a plus d'avantages à trouver à ses côtés une Europe forte plutôt que faible. Une Europe qui, avec les États-Unis, est disposée et à même d'assumer une part des responsabilités pour la bonne gouvernance de cette planète : en somme, oui à un « fellowship », et non à un « followship ». Il s'agit d'une tâche qui nous incombe en premier lieu. Si nous n'avons pas pu convaincre nos partenaires américains de notre point de vue pendant la crise irakienne, c'est sans aucun doute parce qu'ils n'accordent que peu de foi à l'approche européenne. Ils prétendent au contraire, et non sans raisons, qu'une approche qui se limite à un exercice d'analyse géopolitique virtuelle ou trop exclusivement diplomatique peut rarement exercer une influence décisive sur des régimes qui ne sont que peu ou prou démocratiques en vue de les faire évoluer vers un Etat de droit. C'est pour ça que l'Union européenne doit rapidement se doter, en sus de son nouveau concept stratégique, d'une capacité militaire qui lui permette dexercer un droit minimal dingérence. Je reste convaincu que les Etats-Unis nous écouteront quand nous aurons fait la preuve que nous sommes à même dassumer notre part de responsabilité pour notre sécurité propre et celle du monde. Voilà pour ce qui est de l'équivalence des partenaires. À présent, je reviens sur le deuxième principe de ce partenariat : la prévisibilité. Je ne peux encore souvent que constater chez mes interlocuteurs américains une profonde méconnaissance de l'Europe. Et l'inverse est tout aussi vrai : nous aussi, Européens, sous-estimons l'infinie complexité du paysage politique et social américain. C'est ainsi que tous, nous tombons dans la caricature et faisons fausse route. Apprendre à mieux se connaître et, ainsi, à mieux se comprendre, ne peut qu'améliorer la prévisibilité de ce que nous voulons et pouvons faire en commun. Je plaide donc résolument pour une modernisation de nos formes de dialogue stratégiques, que cela concerne la fréquence de nos rencontres, leur format et surtout leur agenda qui tous doivent, bien plus qu'avant, être davantage orientés vers la recherche de résultats tangibles. Le formalisme doit faire place à une concertation approfondie qui porterait alors sur les questions vraiment stratégiques. * * * 2004 sera une année décisive pour l'Irak puisque, le 1er juillet au plus tard, la souveraineté sur le pays sera remise au peuple irakien. La Coalition sera alors dissoute et il reviendra au Parlement national et au Gouvernement provisoires de diriger le pays. La Belgique a toujours plaidé pour que ce transfert s'opère rapidement et qu'ainsi une légitimité contestée -celle d'une force d'occupation- fasse place à une légitimité reconnue, celle du peuple irakien-même. Cela signifie aussi que ce sera aux Irakiens eux-mêmes de prendre leurs responsabilités pour que se développe un Irak libre, démocratique, uni et prospère. La dissolution prochaine de la Coalition ne signifie pas que ne perdurera une présence militaire internationale, également après juillet 2004 ; pas plus que la prise en mains par les Irakiens de leur avenir ne signifiera que la communauté internationale ne se tiendra plus à leurs côtés. Avec la perspective d'un transfert de souveraineté, la situation sécuritaire saméliorera progressivement, ce qui permettra aux Nations Unies d'assumer complètement leur rôle central. La désignation par Kofi Annan de Brahimi comme Conseiller spécial est, à cet égard, très encourageante. La Belgique veut agir de manière active dans le cadre des Nations Unies et tenir ses engagements, comme convenu à la Conférence de Madrid. C'est par ailleurs dans ce même cadre multilatéral qu'il faut situer la question, toujours délicate à l'heure actuelle, d'un rôle éventuel de l'OTAN en Irak. Je voudrais faire deux remarques à ce sujet. Premièrement, je n'ai aucun a priori contre le fait que l'OTAN joue un rôle en Irak. Défenseur d'un multilatéralisme effectif, je peux me rallier à cette éventualité. Mais je la lie cependant à 3 conditions essentielles : primo, une demande faite par le Gouvernement provisoire, deusio, un mandat des Nations Unies et, tertio, pour ce qui est du timing, que cela se fasse après le 1er juillet. Ma deuxième remarque se situe sur le plan pratique : l'OTAN peut-elle se permettre un engagement en Irak ? En a-t-elle les moyens ? Ne devons-nous pas d'abord achever la mission de l'OTAN en Afghanistan qui, comme vous le savez, n'est pas une mince affaire ? Je m'en entretenais avec le nouveau Secrétaire Général de l'OTAN la semaine dernière et, comme lui, je m'interroge vraiment sur la possibilité pour nous d'assumer une mission en Irak en plus de celle que nous menons en Afghanistan. J'ai de sérieux doutes à ce propos. * * * Si vous le permettez, j'aimerais maintenant glisser du Moyen-Orient vers le Proche-Orient. En ce qui concerne le conflit israélo-palestinien, je pense que les différents plans de paix, que ce soit celui de Yosi Beilin et d'Arab Rabo, celui d'Ami Ayalon et de Sari Nusseibeh, ou d'autres encore, ont l'immense mérite d'exister. Je ne suis pas naïf au point de croire que l'un de ces plans se révélera être LE plan de paix qui mettra définitivement fin au conflit. Mais le simple fait qu'ils existent offre un démenti au défaitisme qui tend à considérer le processus de paix comme totalement bloqué, et qu'il ne nous reste qu'à nous soumettre au statu quo destructeur. C'est pourquoi je me suis réjoui publiquement de leur existence, d'autant qu'ils ne portent en rien préjudice à la feuille de route, le fameux « Road Map ». La Belgique n'a jamais été indifférente au drame qui se déroule au Proche-Orient et nous désirons y maintenir notre engagement, de manière honnête et objective. Je sais que, dans ce contexte, le concept « d'équidistance » est parfois mal compris. Ce concept n'implique nullement que nous soyons, dans notre politique, des observateurs froids qui resteraient sur la touche et qui refuseraient de prendre position. Non ! Nous prenons clairement position dans ce conflit mais pas en termes réducteurs qui nous verrait être perçus soit comme pro-palestiniens, soit comme pro-israéliens. Ce n'est pas aussi simple. Nous trouvons évidemment que l'oppression du peuple palestinien est inacceptable et nous rejetons la politique d'occupation et le mur de sécurité comme autant d'obstacles à la paix. Et nous condamnons tout autant, totalement et inconditionnellement, du côté palestinien, la violence terroriste contre la population civile israélienne. Mais les anathèmes et les condamnations n'apporteront guère de solution. Je pense qu'il faut une fois de plus nous engager sur la voie d'une politique d'encouragement et je suis convaincu qu'en cette année d'élection aux États-Unis, l'Europe a une tâche à accomplir. Nous devons, avec nos partenaires européens, élaborer une perspective d'avenir qui s'adresse tout autant aux Palestiniens qu'aux Israéliens. Ces derniers ont aussi besoin de nouvelles perspectives qui leur permettront d'abandonner la politique de représailles dans laquelle ils ont été poussés par la terreur permanente, comme la population palestinienne a droit à un État plein, entier et viable. Ce droit, ils ne pourront le voir s'accomplir que pour autant que du côté israélien on leur donne un espace politique suffisant et donc un minimum de confiance. * * * Comme vous le savez, la politique en Afrique centrale reste pour moi prioritaire. Ce n'est pas sans risques que la Belgique s'est engagée activement dans cette région, tant sur le plan politique que sur celui de la coopération au développement. J'ai toujours tenu bon, même si certaines évolutions sur le terrain peuvaient paraître décourageantes et je constate aujourd'hui que cette magnifique Région des Grands Lacs connaît un début de stabilité. Ce n'est pas un accès d'autosatisfaction car je suis conscient de la précarité de cette stabilité mais sans volonté ni détermination, on n'arrive à rien. C'est pourquoi nous continuerons à suivre de près et à soutenir les processus de transition au Congo et au Burundi et le processus de consolidation au Rwanda. Si ce début de stabilité a pu voir le jour, c'est aussi parce que nous avons réussi à intéresser et à mobiliser la communauté internationale pour cette région. Le Congo, le Burundi et le Rwanda sont aujourd'hui à l'agenda des organisations internationales et singulièrement à celui de l'Union européenne. Dans ce contexte, l'opération militaire Artémis dans l'Est du Congo s'est révélée décisive et a contribué à ce que l'Afrique centrale trouve sa place dans le Concept stratégique de Javier Solana. * * * À partir de cette année déjà, notre diplomatie sera marquée du signe des nouveaux engagements multilatéraux que nous assumerons bientôt. Je pense d'abord à la Présidence de l'OSCE (Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe) que nous assurerons en 2006, ce qui fait déjà de nous un membre de la Troïka dès 2005. Je pense ensuite à notre candidature pour un siège de membre du Conseil de Sécurité des Nations Unies pour 2007-2008, une mission dont l'importance n'échappera à personne. 2006, 2007 et 2008 doivent devenir « les trois glorieuses » de la diplomatie belge. Ces engagements futurs témoignent de notre option radicale en faveur du multilatéralisme. Cette option ne tient pas pour la Belgique du miroir aux alouettes mais se fonde sur notre conviction que les problèmes que nous devons affronter en ce monde ne peuvent trouver de solutions que dans la concertation et le dialogue. Autrement dit, une solution, a fortiori si on la veut durable, ne peut-être ni imposée, ni arrachée de force. Si la Belgique a l'ambition de prendre en charge des missions multilatérales aussi importantes, c'est parce qu'elle dispose d'une série d'atouts qu'elle peut faire valoir sur le plan diplomatique. L'un d'entre eux réside tout simplement dans la présence active de notre pays sur la scène internationale : nous ne restons pas sur la touche. Cela peut paraître prétentieux et pourtant, ce ne l'est pas ! Nous ne sommes pas un pays mono-orienté ni nous n'avons de vision étriquée, que du contraire ! La Belgique a une large vision de la scène internationale et s'engage activement dans les débats, qu'ils aient un caractère plutôt géographique, comme le Moyen-Orient ou plutôt thématique, comme le désarmement. Nous sommes toujours présents, même si c'est évidemment dans les limites de nos possibilités. C'est cette reconnaissance de la Belgique en tant que pays véritablement engagé pour et dans la paix, la sécurité et la prospérité dans le monde, un pays qui défend les valeurs universelles et qui développe un concept éthique de la diplomatie, c'est cette reconnaissance, disais-je, qui nous permet d'être activement présent au niveau multilatéral et d'y assumer nos responsabilités. * * * Comme promis, je conclurai mon intervention par quelques considérations sur les relations entre la Presse et le Politique. Notre société ouverte est basé sur la démocratie qui est elle-même fondée sur les libertés fondamentales dont la liberté d'expression et la liberté de la presse. La démocratie comme la liberté sont servies par une presse et une politique qui fonctionnent bien. Je dirais même plus, elles ont besoin de vous comme de moi. La démocratie repose sur une relation de confiance entre gouvernés et gouvernants, relation qui est nourrie par une diffusion de l'information fidèle à la vérité. Il en va de même pour la liberté : être libre, penser librement et agir librement suppose être informé, penser informé et agir informé. C'est là une tâche importante pour la presse. Mais liberté d'expression et liberté de la presse ne signifient pas que tout et n'importe quoi peut être dit ou écrit ni d'ailleurs que n'importe quelle question doit toujours recevoir une réponse. Je pense que ceci est un point fondamental. Les quelques journalistes qui étaient présents au mémorable point de presse nocturne fin novembre à Naples savent ce que je veux dire. Les gens ont le droit que ce qui leur est dit soit conforme à la vérité, ce qui ne veut pas dire qu'il faut tout leur dire. Un mensonge n'est jamais légitime tandis que garder un secret peut l'être. Tout n'est pas toujours fait pour être livré sur la place publique. Il en va ainsi dans la vie de tous les jours. Il en va ainsi dans votre travail et c'est la même chose en politique : certains documents sont secrets, certaines réunions sont secrètes, certaines démarches sont secrètes aussi. Personne ne conteste cela. Les journalistes sont parfois tentés -et je peux le comprendre vu leur profession- de faire se confondre ces deux lignes : au nom du droit à toujours recevoir de vraies informations, on réclame le droit de recevoir toutes les informations. Mais par rapport à ce dernier, il existe bien une frontière, une ligne rouge et je sais que cette ligne-frontière, ce point d'équilibre où presse et politique se rencontrent repose, in fine, sur la confiance dans cette dernière. Pour résumer : la presse ne peut exiger le droit d'obtenir une réponse à toutes les questions qu'elle pose. A un certain moment, le politique -s'il veut rester responsable- doit pouvoir dire qu'il ne peut répondre à une question. Ce n'est ni antidémocratique, ni illégitime. Notre relation ne peut fonctionner sur le mode automatique : « vous demandez et nous donnons ». Ni dans un sens, ni dans l'autre. Dans la mesure où nous nous imposons mutuellement ce type de relation, nous créons alors les conditions de la duplicité. Vous recevez des demi-réponses et en faites des demi-vérités. Ni la presse ni le politique ne sortent gagnant d'une telle équation. En effet, on ne nourrit alors que la méfiance envers le politique et ce de manière injuste, comme j'ai voulu le démontrer. Une liberté de la presse bien comprise a dès lors ses limites qui ne doivent, par ailleurs, en aucun cas être définies par l'autorité. C'est aux media eux-mêmes à se donner ces quelques limites, sinon on court le danger que le monde de la presse se voit devenir contre-productif, du moins si l'objectif reste d'informer le citoyen d'une manière conforme à la vérité. Où nous mènent ces quelques considérations ? A la conclusion que la presse et le politique peuvent collaborer si, de part et d'autre, on témoigne d'un sens des responsabilités. J'ai bien dit de part et d'autre. Aussi du côté du politique sur qui repose au premier chef la responsabilité de garantir et de protéger la démocratie et la liberté. Une politique de l'information constitue dès lors une composante essentielle de toute politique gouvernementale, donc aussi celle des Affaires étrangères et, par tant, la mienne. Je vous remercie pour votre attention.